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© Melik Ohanian
Concrete Tears, 3451 (2012) in Musée National Picasso
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Concrete Tears, 3451 (2012) in Musée National Picasso
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Concrete Tears, 3451 (2012) in Musée National Picasso
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Concrete Tears, 3451 (2012) in Musée National Picasso

EXILS Réminiscences et nouveaux mondes

Musée National Picasso Vallauris  •  France [FR] 23 Jun  • 07 Oct | 2012

Dans le cadre de l’exposition Exils, les musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes et la Réunion des musées nationaux-Grand palais ont proposé à Melik Ohanian de réfléchir à un projet qui pourrait prendre place dans la magnifique nef romane du musée national Pablo Picasso La Guerre et la Paix à Vallauris. L’artiste a choisi de présenter dans sa version complète une installation partiellement réalisée en 2006 à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne dans le cadre de l’exposition monographique « Let’s Turn or Turn Around ». Intitulée Concrete Tears,3451, elle porte donc une double date (2006/2012) et signifie en français « larmes de béton ».

Composées d’un mélange de ciment et de résine, 3451 larmes de béton sont suspendues grâce à des fils d’acier. L’ensemble est maintenu en lévitation grâce à une structure ajourée en inox miroitant. Le motif décoratif découpé en creux dans le métal évoque ceux des céramiques orientales et sera décliné dans d’autres matériaux lors de la production de nouvelles oeuvres (Datcha project), telle une histoire formelle du monde en perpétuelle réécriture. Une simulation virtuelle a permis à l’artiste d’adapter sa « dentelle » de larmes à l’édifice ancien en pierres de taille. Plongée dans une pénombre relative, la perception de l’installation varie en fonction du déplacement des visiteurs et de l’incidence de la lumière naturelle.  D’environ 3 m3, l’ensemble fonctionne comme une projection volumétrique dans l’espace de ce motif décoratif en deux dimensions.

« Il ne fait pas très clair dans cette chapelle » déclarait Picasso à Claude Roy  « et je voudrais qu’on ne l’éclaire pas, que les visiteurs aient des bougies à la main, qu’ils se promènent le long des murs comme dans des grottes préhistoriques, découvrant les figures, que la lumière bouge sur ce que j’ai peint, une petite lumière de chandelle ». Outre une même puissance dans leur posture respective d’artiste et une apparente fragilité dans la rencontre avec leurs oeuvres, Pablo Picasso et Melik Ohanian partagent un rapport critique à l’Histoire. Pour l’artiste, « l’architecture du drame » qu’incarne le cube diaphane de Concrete Tears, 3451 révèle une émouvante pensée plastique face au réel contrasté de notre époque. Elle matérialise la physicalité de l’espace entre Paris et Erevan, un écart constitué par les 3451 kilomètres évoquant symboliquement le déplacement des survivants arméniens en 1915 et décrit par l’artiste comme une « topographie imaginaire ». Comme souvent dans son travail, l’oeuvre est un scénario sans narration, une image incarnée qui connecte chacun d’entre nous avec l’Histoire. De quelle mémoire sommes-nous dépositaires ? Comment traduire l’écart entre le passé (familial et/ou universel) dont nous héritons et le présent qui nous construit ? Poursuivant le message éthique porté par l’oeuvre de Pablo Picasso dans ses panneaux La Guerre et la Paix, Melik Ohanian modifie les représentations du monde en proposant des chemins de traverse qui élargissent notre territoire mental vers d’autres destinées, celle de l’identité de l’Autre. Car l’exil induit pour celui qui part comme pour sa descendance une représentation métaphorique de la géographie, symbolisée par Concrete Tears, 3451 : une tension entre des temporalités a priori inconciliables et un héritage complexe pour les générations qui se succèdent. De la question identitaire que chacun peut vivre ou partager naît l’universalité : une re-connaissance de la différence.

Melik Ohanian (né à Lyon 1969, habite entre New York et Paris) est diplômé des écoles supérieures d’art de Montpellier et de Lyon. Il explore le monde depuis plusieurs années. Son oeuvre interroge principalement les notions de territoire et de temps, comme en témoigne son dernier film DAYS, I See what I Saw and what I will See (2011). L’artiste a également recours à d’autres techniques d’expression, telle la photographie. Initiée en 2000, la série des  Selected Recordings s’enrichit régulièrement à l’occasion de ses nombreux déplacements. De grandes images à tirage unique nous projettent dans des espaces naturels ou construits, vides de toute présence humaine et ne portant aucune indication de lieu ou de date. Le questionnement sur la notion d’identité est au coeur de nombreux projets tel You are mY destinY (2003) qui l’entraîna dans un périple depuis l’Europe jusqu’à l’Amérique sur les traces de trois inconnus portant le même nom que lui. Depuis 2005, il poursuit le projet Datcha Project – ou « zone de non-production » – qui accueille en Arménie des personnes de cultures différentes.

De l’Islande à l’Arménie, de l’Amérique latine aux déserts mexicain et californien, de Tokyo à Vallauris, le monde constitue selon Melik Ohanian un espace dont le centre est introuvable. Grâce à ses images à la fois simples et très étudiées, le réel s’offre à nous par le biais de fragments décalés et interstitiels. L’artiste cherche à éclairer la complexité de notre rapport au temps, à nous-mêmes et aux autres, interrogeant l’intime et le collectif. Dans la chapelle peinte par Pablo Picasso, la démarche conceptuelle qui sous-tend la matérialisation de 3451 larmes par Melik Ohanian  invite ainsi à une réflexion sur l’existence, renvoyant notre mémoire individuelle à une Histoire universelle.

Diana Gay

Conservatrice du patrimoine

Musée national Fernand Léger

contact presse : Florence Le Moing, florence.lemoing@rmngp.fr

catalogue version numérique (juillet 2012), version imprimée (2013), éditions del’art, 8 euros

Chapelle de Vallauris